La photographie prend quasiment naissance au début du XIXe siècle avec les travaux de Nicéphore Niepce (1765-1833), puis de Louis Daguerre (1787-1851) qui invente le daguerréotype en 1839. Le public et la presse s’enthousiasment pour cette technique ainsi que de nombreux scientifiques, chimistes, physiciens et même des astronomes comme François Arago (1786-1853) qui échoue à obtenir une photographie nette de la lune en 1839.
Selon Laetitia Maison[1], la création d’un « atelier de photographie » en 1879 par le nouveau directeur de l’Observatoire de Paris, l’amiral Ernest Mouchez (1821-1892) sous la direction de Charles Wolf suscite l’intérêt des frères astronomes Paul (1848-1905) et Prosper Henry (1849-1903) qui obtiennent en 1884 leurs premiers clichés des régions de l’écliptique céleste.
Le projet de la « Carte du ciel »
Un projet international d’utilisation de la photographie pour l’astronomie voit donc le jour sous l’impulsion d’Ernest Mouchez, impulsé par des astronomes étrangers également à l’œuvre dans ce domaine. Celui-ci sollicite les directeurs d’observatoires français en avril 1886 pour connaître leur intention de participation à un projet astrophotographique. Georges Rayet répond immédiatement avec enthousiasme, en insistant sur la nécessité d’un budget supplémentaire pour un tel projet. Il est décidé que trois instruments astrophotographiques semblables au prototype conçu et utilisé par les astronomes parisiens Paul Henry (1848-1905) et Prosper Henry (1849-1903) seront installés dans des observatoires français. G. Rayet sollicite immédiatement la ville de Bordeaux pour une participation financière qui est accordée dès juin 1886 pour un montant de 15 000 francs pour la construction de la tour et de la coupole destinées à abriter ce nouvel instrument.
Une commission internationale permanente est créée, composée de 11 membres à laquelle assistent les directeurs des observatoires participants. La commission se réunit en 1889, 1891, 1896, 1900 et 1909. Un Comité exécutif de 9 membres est également fondée. Le projet défini en 1887 est double :
A. La Carte du ciel
D’une part il s’agit d’obtenir une carte photographique du ciel présentant les étoiles jusqu’à la 14e magnitude sur des plaques correspondant à une région d’environ 2° x 2° de coté. 30 à 40 millions d’étoiles seront mesurées sur environ 22000 plaques photographiques par 18 observatoires. Sur ces cartes l’échelle est de 1 minute d’arc par millimètre.
B. Le Catalogue
D’autre part l’établissement du Catalogue est obtenu sur des plaques supplémentaires à plus courte durée de pose pour contenir des étoiles de magnitude 11. Avant la pose on photographie un réseau pour faciliter la mesure des coordonnées. Le catalogue comporte 4 millions d’étoiles.
18 observatoires décident de s’engager dans ce grand projet. Certains abandonneront et seront remplacés par d’autres non engagés au départ.
Les instruments
Pour obtenir des résultats, les observatoires doivent disposer de réfracteurs ayant les mêmes caractéristiques techniques que l’équatorial des frères Henry. La France s’engage pour 4 instruments. D’abord le prototype construit par les frères Henry et le constructeur Paul Gautier à l’Observatoire de Paris. Il comporte une double lunette : une lunette photographique d’ouverture 33 cm et de focale 3,43 m ; une lunette visuelle d’ouverture 24 cm et de focale 3,60 m. Le ministère de l’Instruction publique finance trois autres instruments à condition pour les observatoires concernés Bordeaux, Toulouse et Alger de trouver le financement du bâtiment pour l’abriter.
À Bordeaux, Georges Rayet (1839-1906) obtient un financement de la ville de Bordeaux pour construire une coupole avec laboratoire photographique attenant et une salle de mesures. L’équatorial photographique construit par Gautier est installé en 1892.
Le projet bordelais à Floirac
À Floirac, le choix d’une coupole est fait par Georges Rayet car en plus des cliches de la Carte du Ciel qui peuvent être pris dans la direction du méridien, il souhaite pouvoir prendre des clichés de « phénomènes accidentels, éclipses ou comètes, lorsque ces derniers se produiraient loin du méridien ». Cela entraîne la construction d’une tour pour supporter une coupole hémisphérique tournante (Illustration 1).
Illustration 1. Fin de la construction de la structure de la coupole et du bâtiment courant 1889. Région Aquitaine, Inventaire général – M. Dubau,[2004].
Georges Rayet contacte les établissements du Creusot et demande un devis pour une coupole de 6 m de diamètre avec peu de modifications par rapport aux précédentes et propose de l’alléger pour en diminuer le coût. M. Pradel, directeur des Chantiers du Creusot, répond que la réduction de matière n’aura que peu d’influence sur le coût estimé à 15 000 F pour un poids de 10 tonnes. Après différentes concertations avec d’autres entreprises dont la société Dyle-Bacalan à Bordeaux, G. Rayet relance la Commission d’organisation de l’observatoire qui finalement lui conseille de passer marché pour la coupole avec les établissements du Creusot pour un total de 16000 F, car le prix du fer a augmenté entre-temps.
On construit donc une coupole de 5 m de diamètre avec un laboratoire photographique attenant dans lequel les plaques photos sont traitées. On y adjoint une salle de mesure et de conservation des clichés. Le bâtiment est terminé en 1889 (Illustration 2).
Illustration 2. La coupole, le laboratoire photographique et la salle de mesure une fois construits en 1889. Région Aquitaine, Inventaire général – M. Dubau,[2004].
L’instrument équatorial photographique
PAprès la décision que les instruments français financés par le Ministère de l’Instruction publique seraient construits sur le modèle de l’instrument mis au point par les frères Henry, un traité est passé entre le Ministère et le constructeur Gautier pour la monture et les frères Henry pour l’objectif.
À réception du traité à signer pour Bordeaux en août 1886, G. Rayet demande des modifications en particulier pour faire de la photographie solaire et pour disposer d’un mouvement d’horlogerie plus puissant. Les discussions techniques entre Rayet et Gautier remontent jusqu’au directeur de l’Enseignement supérieur qui exige que les trois instruments de Bordeaux, Toulouse et Alger soient identiques. Rayet renonce à ses exigences de modifications.
L’équatorial photographique est opérationnel en 1892[2] avec les deux lunettes parallèles, l’une destinée à l’observation visuelle, l’autre à la prise de clichés pour la Carte du ciel. L’ensemble est enserré dans une monture en berceau dite « monture anglaise » (Illustration 3).
Illustration 3. L’équatorial photographique vers 1892. On distingue l’escabeau et le lit de cuir destinés à faciliter l’observation.. Région Aquitaine, Inventaire général – M. Dubau,[2004].
Illustration 4. Groupe de la Commission de l’observatoire lors de l’inauguration de l’équatorial photographique en 1892. Georges Rayet est au milieu sur la marche la plus élevée. Région Aquitaine, Inventaire général – M. Dubau,[2004].
Après la réception et le montage de l’instrument, quelques problèmes sont détectés. Une partie de l’astrographe revient sur Paris chez le constructeur Gautier pour révision et modifications. Puis l’instrument revient sur Bordeaux et les premiers tests ont lieu en 1891. Les premiers clichés de la Carte du ciel sont donc obtenus à Bordeaux en 1892. L’instrument est inauguré en 1892 (Illustration 4). Les clichés sont pris sur des plaques de verre recouvertes de gélatine de dimensions 16 cm x 16 cm. Un grand nombre de clichés sont alors obtenus à Floirac comme dans les autres observatoires disposant d’un astrographe.
Les travaux effectués à Floirac
A. Les clichés de la Carte du Ciel
L’ensemble des clichés impartis à l’observatoire de Bordeaux pour toutes les déclinaisons paires comprises entre + 17° et + 11° sont obtenus depuis la mise en opération de l’équatorial photographique en 1892. Si Georges Rayet s’investit dans la rédaction du règlement pour les observatoires participants, dans les résolutions du Comité permanent, dans les premiers tests de l’équatorial en 1892, il confie l’obtention des clichés aux deux aide-astronomes Fernand Courty (1862–1921) et Henri Godard (1884-1961) qui termine sa carrière comme astronome-adjoint.
La totalité des clichés est obtenue dans les années 1920-1930, soit sur une période d’environ 30 à 40 ans ce qui manifeste un investissement personnel particulièrement important des personnels qui ont œuvré intensément et assidûment pour obtenir la totalité des clichés dans un temps relativement court quand on réalise la somme de travail que représente l’obtention d’un cliché exploitable et sa mesure.
B. Le Catalogue de la Carte du Ciel
En parallèle, des clichés à pose plus courte permettaient de photographier les étoiles jusqu’à la magnitude 11. Trois poses successives sont réalisées sur le même cliché dans le but de ne pas confondre une étoile avec une irrégularité de la gélatine. À partir de 1896, différentes personnes, « les dames de la Carte du Ciel » (Illustration 5), sont installées dans les locaux de la Faculté des Sciences, cours Pasteur à Bordeaux, pour effectuer les mesures des coordonnées rectilignes des étoiles sur les plaques puis effectuer les calculs destinés à rassembler les résultats dans le catalogue.
Illustration 5. Groupe des astronomes et des dames calculatrices, lors de la réunion de l’Association Amicale des Personnels scientifiques des observatoires de France, lors du déjeuner offert par le directeur de l’observatoire de Bordeaux, Luc Picart en 1913. Archives de l’observatoire astronomique de Lyon.
En 1905, Georges Rayet publie l’Introduction au Catalogue photographique de Bordeaux[3] et le tome 1 du Catalogue photographique pour la zone +16° à +18°[4].
Georges Rayet décède en 1906 et en 1907, peu après sa nomination à la direction de l’observatoire astronomique de Bordeaux, Luc Picart publie le tome 2 du Catalogue photographique de l’Observatoire de Bordeaux pour la zone +15° à +17°[5].
Par la suite seront publiés 6 tomes complémentaires pour les zones de 2°, de 16° à +10° sous la responsabilité de Luc Picart, de 1911 à 1934[6].
En parallèle des mesures des étoiles repères du Catalogue photographique de Bordeaux effectuées à la lunette méridienne permettront de publier le Second Catalogue de l’observatoire de Bordeaux en 1924[7].
Le projet de la Carte du Ciel traine en longueur dans bien des établissements pour des raisons de manque de financements, de guerres, de changements politiques, de problèmes techniques et de manque de personnels. Il fût définitivement clôturé et abandonné lors du 14e Congrès de l’Assemblée générale de l’Union Astronomique Internationale (UAI/IAU) à Brighton en 1970. La bibliothèque de l’observatoire contient deux meubles spécifiques qui contiennent la collection des cartes photographiques imprimées de l’ensemble des observatoires ayant participé au projet de la Carte du Ciel (Illustration 6).
Illustration 6. Une des deux armoires contenant la collection des cartes du ciel imprimées dans les différents observatoires du monde ayant participé au projet de la Carte du Ciel. . Région Aquitaine, Inventaire général – M. Dubau,[2004].
Quelques informations complémentaires
Par la suite, la lunette équatoriale photographique a été couramment utilisée à partir des années 1970 jusqu’à ce que Kodak décide d’arrêter la fabrication des plaques recouvertes de gélatine en 1996. L’instrument a continué à prendre des clichés jusqu’à l’épuisement du stock de plaques en 2000 (Illustrations 7 et 8). Les derniers clichés ont été pris en étant centrés sur les mêmes coordonnées que les clichés de la collection de la fin du XIXe et début du XXe siècle. La comparaison des clichés pris à un siècle de distance permet de mesurer les « mouvements propres » des étoiles.
Illustration 7. La lunette équatoriale photographique. Région Aquitaine, Inventaire général – M. Dubau,[2004].
Illustration 8. Vue de l’instrument avec l’instrumentation permettant l’observation visuelle (partie supérieure) et le dispositif photographique (partie inférieure). Collection particulière.
Le laboratoire photographique a été construit immédiatement adjacent à la coupole contenant l’instrument. Il est équipé de vitres de couleur rouge permettant au technicien de révéler et laver les plaques photographiques dans une lumière ne risquant pas de causer un voile. (Illustration 9). L’ensemble de la collection des plaques prises depuis 1892 est stocké dans des meubles adaptés (Illustration 10), chaque cliché étant parfaitement répertorié par les coordonnées du centre du cliché.
Illustration 9. Laboratoire photographique attenant à la coupole. On distingue à gauche une épaisse planche de chêne rainuré permettant d’évacuer les produits photographiques après qu’ils aient été utilisés. Collection particulière.
Illustration 10. Collection de plaques identifiées et classées. Collection particulière.
[1]Maison, Laetitia, La fondation et les premiers travaux de l’observatoire astronomique de Bordeaux (1871-1906) : Histoire d’une réorientation scientifique, Thèse de doctorat d’épistémologie et d’histoire des sciences de l’Université Bordeaux 1, 2004, 431 p.
[2]F. Le Guet Tully, J. de La Noë, H. Sadsaoud, L’opération de la Carte du Ciel dans les contextes institutionnel et technique de l’astronomie française à la fin du XIXe siècle, in La Carte du Ciel, éd. par Jérôme Lamy, 2008, Paris, EdP Sciences & l’Observatoire de Paris, 250 p.
[3]Rayet. G., Introduction au Catalogue photographique du Ciel. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1905,
[4]Rayet. G., Catalogue photographique du Ciel, zone +16° à +18°. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1905, tome. 1.
[5]Picart, L., Catalogue photographique du Ciel, zone +15° à +17°. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1907, tome 2
[6]Picart, L., Catalogue photographique du Ciel, zone +15° à +17°. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1907, tome 2, Picart, L., Catalogue photographique du Ciel, zone +14° à +16°. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1907, tome 3, Picart, L., Catalogue photographique du Ciel, zone +13° à +15°. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1914, tome 4, Picart, L., Catalogue photographique du Ciel, zone +12° à +14°. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1925, tome 5, Picart, L., Catalogue photographique du Ciel, zone +11° à +13°. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1931, tome 6, Picart, L., Catalogue photographique du Ciel, zone +10° à +12°. Observatoire de Bordeaux, Paris, 1934, tome 7.
[7]Picart, L., et Kromm, F., Second Catalogue de l’observatoire de Bordeaux, Observations des étoiles de repère du catalogue photographique, zone +10° à +18°, 1924, 203 p.